J’ai déjà eu l’occasion d’aborder les thématiques Femmes et Sciences avec l’Oréal, mais je n’avais encore pu me pencher sur la thématique scientifique pure. C’est maintenant fait, grâce à la visite du centre de recherche et d’évaluation prédictive Episkin, à Lyon. Ce centre a un but : la recherche pour l’efficacité et la sécurité des ingrédients en cosmétique, et rassemble un peu plus de 70 personnes sur 1000m2 de bureaux et salles blanches très (très) bien équipées.
Quelle ne fut pas ma surprise en entrant dans les bâtiments Episkin : des posters de recherche placardés sur les murs du couloir ! Comme des témoins muets : «science en marche», qui nous indiquent que la recherche n’est pas un voeux pieux mais une réalité bien tangible.
Accueillis par Charbel Bouez, Estelle Tinois-Tessonneaud, l’équipe communication scientifique, mais aussi trois chercheuses travaillant à Episkin, nous avons pu visiter le laboratoire et avoir quelques démos de tests – avant de pouvoir leur poser une rafale de question pendant le déjeuner…
Pourquoi s’embêter à créer ces tissus reconstruits ?
La question principale : actuellement, la majorité des tests cosmétiques sont réalisés in vivo (environ 11,5 millions de vertébrés, dont environ 80 % de rongeurs et de lapins, ont été utilisés en 2011 par les États membres de l’Union européenne, suivant le Septième rapport sur les statistiques concernant le nombre d’animaux utilisés à des fins expérimentales et à d’autres fins scientifiques dans les États membres de l’Union européenne (PDF) ) même si de plus en plus de marques rejettent ce type de tests – mais elles doivent quand même en faire ! Il faut donc trouver des alternatives.
L’expérimentation animale ne permet pas tout le temps de prédire avec efficacité ce qui se passe chez l’Homme ! Il est donc important de pouvoir tester sur de vraies peaux humaines… mais sans mettre en danger la vie desdits humains. De plus, une directive européenne approuvée en 2010 pousse les laboratoires à se tourner vers des méthodes alternatives (du moins, ceux qui ont une démarche de type «développement durable»…).
Pour l’Oréal, l’enjeu est aussi de pouvoir produire des cosmétiques d’excellence – testées sur des tissus reconstruits avec leurs propres exigences de qualités, avec des processus de tests rigoureusement établis. Plus de 650 formules sont testées chaque année dans les salles blanches d’Episkin !
D’ou viennent les cellules originelles ?
Car oui, on ne crée pas en un claquement de doigt un tissu artificiel… Les épidermes reconstruits (notez bien : reconstruits, et non construits !) d’Episkin proviennent tout d’abord de déchets opératoires (Episkin a un accord avec deux cliniques lyonnaises). Les cellules sont ensuite isolées grâce à différents procédés (mise en solution, agitation, centrifugation…), puis mises en culture sur des substrats plein de sucre (dur dur la vie d’une cellule, je vous dit) pendant 13 jours. Ces substrats vont ensuite favoriser la croissance, pour passer de quelques cellules isolées à un beau tissu bien souple !
Et si vous voulez vraiment savoir à partir de quels types de déchets opératoires la magie la science opère, voici la réponse : tissus mammaires pour les femmes… et prépuce pour les hommes. Le patient donne ses tissus après avoir signé un consentement éclairé (on ne pique pas les déchets opératoires à la Fight Club…), ils sont ensuite analysés (examen médical, analyse sérologique) afin de ne mettre en culture que des tissus sains et safe !
À quoi ça ressemble, un tissu reconstruit ?
Je ne vais pouvoir vous parler que des tissus de peau (derme / épiderme), car ce sont les seuls que j’ai vu de mes propres yeux. Vous visualisez la petite peau qui se décolle quand vous avez une ampoule ? Celle qui est encore douce, très fine mais très résistante encore ? Hé bien vous venez aussi de visualiser une peau reconstruite de chez Episkin
Y a-t’il plusieurs types de tissus produits chez Episkin ?
Oui ! En plus des tissus de peau (derme, épiderme), le laboratoire Episkin produit aussi des tissus gingivaux, pulmonaires et… vaginaux. Quel rapport avec L’Oréal ? Tous les tissus produits ne le sont pas pour l’entreprise «mère» : Episkin produit aussi des tissus pour la recherche ou pour l’industrie pharmaceutique – d’ou la fabrication de tissus qui pourraient sembler un peu spéciaux pour l’industrie cosmétique.
Quel est l’avantage des peaux reconstruites par rapport aux tests in vivo ?
À part l’avantage éthique de ne plus faire tester ses cosmétiques sur des animaux – l’avantage principal est la reproductibilité des tests. Vous pouvez tester un même produit, avec différentes concentrations, sur une même souche de peau et ce plusieurs fois, pour vous assurer que vos résultats sont statistiquement fiables.
Les processus de production sont aussi certifiés ISO 9001 – et en 15 audits, ils n’ont encore eu aucune non-conformité (un boulot immense !) :
EpiSkin is produced in accordance with the quality reference norm ISO 9001, ensuring traceability and reproducibility of the epidermal tissues.
The reproducibility of each batch is checked by histological analysis taking into account the general organisation, the stratification of the epidermis, the nucleation of the basal layer, the size of the intercellular spaces, adhesion of the basal layer to the support, the quantity of granular cells and the thickness of the horny layer. Each criterion is scored from 0 to 4. The maximum score is 28. The minimum score for histology acceptability of the model is 19/28.
The reproducibility of the response of each EpiSkin batch is tested against a reference irritant: SDS. The IC50 of the surfactant is measured by the MTT assay after 18 hours of contact. The minimum score for acceptability of the model is icso ? 1mg/ml.
Quels sont les tests utilisés sur ces peaux reconstruites ?
Les épidermes reconstruits Episkin servent dans deux types principaux d’essais : les essais de sécurité (irritation de la peau, phototoxicité…) et les essais d’efficacité (protection UV, hydratation, toxicologie…) - voir à ce sujet la liste complète des essais.
Mais.. pourquoi l’Oréal vend-il gentiment sa technologie à d’autres labos ?
On a vu plus haut que certains tissus étaient vendus à des laboratoires externes, ou bien à la recherche – des tissus qui proviennent d’une recherche menée pendant des années, et que l’Oréal ne cesse d’optimiser ! C’est gentil de les mettre à disposition de l’industrie pharmaceutique, non ? Gentil mais aussi très business : si l’Oréal étaient les seuls à utiliser ces épidermes reconstruits, ils ne vaudraient pas grand chose sur le marché. Tandis que là, ils se placent en acteurs de premier plan – Fleur Phelipeau vous l’explique très bien dans son article de blog.
C’est bien joli de produire en France des peaux blanches, mais… et la diversité alors ?
Pour tester les cosmétiques sur les peaux, il vaut mieux, au vu de la diversité des épidermes, avoir plusieurs types de peaux ! Les déchets opératoires mammaires issus d’une clinique de chirurgie esthétique ne sont pas super représentatifs non plus de la population – c’est aussi pourquoi ce centre n’est pas isolé dans le monde, mais connecté aux autres centres de recherche de l’Oréal. Un centre Episkin a aussi ouvert en Asie, et d’autres centres sont prévus – notamment en Afrique et en Amérique du Sud.
Pour aller plus loin
- Directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (JO L 276 du 20.10.2010)
- La liste des publications scientifiques ayant trait à Episkin
- Le rapport annuel de l’Oréal (PDF), pour les mordu.e.s des chiffres clefs
- Le programme Sharing Beauty With All
Un grand merci à toute l’équipe Episkin pour nous avoir ouvert les portes et accuellies dans ce laboratoire surprenant et inspirant – merci d’avoir pu libérer tant de temps et vous être prêté au jeu des questions et des réponses sincères. Ayant travaillé dans un laboratoire, j’imagine sans peine la logistique derrière une visite et des démonstrations durant toute une matinée !